Beaucoup de livres paraissent sur la guerre 14…j’ai sélectionné quelques textes d’un auteur belge, peu connu en France, Max Deauville, médecin, qui écrivit des carnets, dans la boue des Flandres. J’ai découvert par hasard, à Ypres, cet auteur, qui s’est parfois censuré, tant ses notes étaient souvent sombres, brutes, moins « écrites » que celles de nos auteurs plus connus de la même époque.
Il met en lumière la nature humaine, confrontée jour après jour à une immense barbarie. Il montre bien des aspects, qu’on n’aime peu évoquer, à savoir d’abord, une certaine forme de bêtise de soldats, souvent peu cultivés, un peu rustres, voulant bouffer du boche, peu tendres également avec ses propres copains d'équipe, n’hésitant pas à harceler le petit gros qui a peur, l’intellectuel « un peu pédé », le souffre douleur qui pue des pieds et qu’on pousse dormir dehors par un froid glacial. Mais ne jetons pas la pierre à ces hommes, qui les mêmes, ont été aussi capables de grande humanité, comme de prendre des risques insensés pour tirer un copain blessé hors du feu des tirs ennemis ou pour veiller un autre qui ne s'en tirera pas. L’autre aspect de cette sale guerre, fut la désorganisation de nos armées, comme raconté dans les extraits ci-dessous, qui parlent aussi du grand désespoir auquel ils durent faire face :
Nous traversons les villages sans nous arrêter. Des femmes sur le pas des portes donnent à boire aux soldats. D’autres tendent du pain. Comme à chaque fois que nous rencontrons des maisons habitées, c’est la petite débandade habituelle. Les hommes assoiffés se précipitent dans les caboulots pour boire de la bière et les sergents crient pour faire avancer leur monde. Puis la colonne avance à nouveau monotonement. Derrière eux les canons de la brigade roulent dans un fracas assourdissant. Des hommes sont montés sur les caissons à côté des artilleurs. Le reste n’est qu’une bande de malheureux qui font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas abandonner. Et la route continue toujours, sans fin, sous un soleil métallique, dans une lueur chaude, baignée de poussière dans laquelle les armes scintillent.
Il parait que cette nuit, c’est le réveil à la muette. Un peu après minuit des coups retentissent à notre porte. Nous logeons dans une maison abandonnée. Quelqu’un secoue l’huis à le démantibuler. Il est exactement minuit cinquante et le départ est fixé à une heure quinze. Les rues commencent à se remplir de soldats. Ceux-ci lourds de sommeil avec des gestes vagues renversent des faisceaux qui en tombant font un bruit d’enfer. Sur les pavés, les canons roulent dans un vacarme continu et tout le faubourg est en émoi. C’est le réveil à la muette.
Un brave homme revint en permission quelques jours, et quand il y fut, il s’aperçut que sa femme lui avait refilé la vérole. Alors, que faire ? Il avait trop de honte. Il ne dit rien à personne et de retour dans l’Argonne, quand il fallut des volontaires, il leva la main. Quelques coups de fusil, c’est simple. Ceux qui sont morts ainsi, ce ne sont pas les allemands qui les ont tués.
Oui, tout ça, c’est pour la France. J’avais un métier, une maison. Mon métier me dégoute, je me fous de ma maison. Les miens, je ne sais plus où ils sont. Ma fiancée ? J’y pense même plus. J’en parle pour faire comme les autres, mais dans le fond, je m’en fous, j’pense plus à rien. Et c’est pour ça qu’on tient, c’est pour ça que nous sommes de bons soldats. Ah, ce que je rigole quand je vois tout le foin qu’ils font dans les journaux pour notre moral. Voilà de quoi il est fait, notre moral.
Le devoir ? Mon pauvre ami, tout est affaire de nuances .Les fantassins pensent que les artilleurs et les cavaliers sont des embusqués…mais même parmi les fantassins, que de différences ! Dans les tranchées de première ligne, le major est plus protégé que les commandants de compagnie, les chefs de peloton plus que les caporaux. Pour une sentinelle qui se gèle au petit poste, tout ce qui est derrière elle constitue un monde : l’Arrière. Où donc est celui qui fait tout son devoir ? Va mon garçon, il faut penser à ton pays ou bien à toi-même. Il est des devoirs envers l’un comme envers l’autre, le tout est de choisir.
Engoncés dans nos capotes, une écharpe autour du cou, gonflés de vêtements, nous sommes assis sur des maigres chaises. Notre haleine forme un nuage devant nous et nos mains cherchent à se réchauffer dans la profondeur de nos poches. Du café chaud s’impose. Les gobelets d’aluminium avec leur couleur pauvre sont tout à fait de mise. Mais il y a des jours où on n’a même pas le courage de manger. L’hiver est là. Bon Dieu de bon Dieu, encore un hiver.